Au printemps 2025, le gouvernement du Canada nous a fait parvenir le deuxième lot de documents historiques en lien avec la purge LGBT. La collecte de ces documents s’inscrit dans le cadre des principales activités du Fonds, comme prescrit par le règlement du recours collectif.
Le Fonds Purge LGBT a confié à l’ex-député fédéral Svend Robinson la tâche de recueillir ces documents et de les passer en revue. L’exercice a permis de les organiser et d’en faire émerger les éléments les plus notables. Nous présentons ici le fruit du travail de Svend pour vous guider à travers ces milliers de pages.
Vous pouvez consulter l’ensemble des documents du deuxième lot en ligne, tout comme ceux du premier lot.
Affaire John Watkins, ambassadeur
Bien que les documents sur l’affaire Watkins ont été lourdement caviardés, certains d’entre eux révèlent de nouvelles données consternantes sur les circonstances réelles du décès de l’ambassadeur pendant son interrogatoire mené par la GRC le 12 octobre 1964. Le document 2617 confirme que l’interrogatoire compte parmi les plus longs à avoir été menés en France, au Royaume-Uni et au Canada au cours de cette période. On omet d’y mentionner que le jour fatidique, l’interrogatoire s’est poursuivi après le repas du soir, et ce, jusqu’au moment de la crise cardiaque de Watkins, ce que corrobore le document 3420.
Les documents 3339 et 3340 (avril et mai 1963) sont les premiers de la GRC à faire référence à l’enquête sur Watkins. Les documents 3394 et 3395 (février 1964) confirment que le sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures (SSEAE) Norman Robertson a collaboré avec la GRC et qu’ils étaient persuadés que Watkins espionnait pour le compte du KGB.
Les documents 3414 et 3415 démontrent clairement que la GRC avait décidé d’exercer beaucoup plus de pression sur Watkins dans les derniers jours de son interrogatoire, et de potentiellement lui refuser de quitter le Canada jusqu’à ce que l’affaire ait été tirée au clair. On adopterait une approche « agressive » et mettrait en doute son honnêteté. Comme on s’inquiétait pour son cœur, un médecin était de garde.
Le document 3417, rédigé après le dernier jour de l’interrogatoire, révèle que Bennett (GRC) a appelé Higgitt à Ottawa pour se renseigner sur les prochaines étapes. La note confirme que le premier ministre Pearson était au fait de la situation, mais que le SSAEA n’était au courant de rien. Le document 3418 souligne qu’une enquête policière à la suite du décès survenu à Montréal pourrait s’avérer problématique pour la GRC. Par conséquent, l’implication de la GRC dans cette affaire a été complètement étouffée. Le document 3420 est un important résumé produit par la GRC après le décès de Watkins. On y confirme que le jour de sa mort, Watkins avait finalement avoué sa participation à un acte de sodomie en URSS.
Le document 4055 (1981) présente un examen interne de la documentation de la GRC et fait émerger de sérieuses incohérences et des faits inventés de toutes pièces par les interrogateurs dans leur compte rendu des événements de la dernière journée d’interrogatoire et du lendemain. Dans le document 4179, une note de service de la GRC confirme que le premier ministre Pearson était bien au fait de l’interrogatoire et qu’il avait même fourni des orientations, faits corroborés par le document 2617.
Le document 5794 (1994) présente la transcription d’un épisode de l’émission Ideas, diffusé sur les ondes de CBC, où il était question de Watkins. Le rôle de Pearson y est dénaturé, mais les ex-collègues de Watkins au ministère des Affaires extérieures y replacent les événements dans leur contexte.
Fruit Machine/Dr Wake
Les notes 3104 et 3122 (mars et mai 1960) sont les premières où le Bureau du Conseil privé (BCP) fait mention d’un éventuel projet de recherche. Les documents 3134 et 3135 (juin 1960) présentent le premier « rapport périodique » du Dr Wake, qui recommande d’aller de l’avant avec le projet de recherche pour détecter les personnes homosexuelles.
Dans les documents 3197 et 3206 (fin 1960 et début 1961), Bryce – un greffier du BCP – parle de recherches sur le recrutement et la détection; il souligne que la GRC insiste pour bannir toutes les personnes homosexuelles et détenant un dossier criminel, en plus d’identifier toutes les personnes correspondant à ces descriptions au sein de la fonction publique.
Le document 3217 (juin 1961) démontre que le premier ministre Diefenbaker approuve le projet. Le Dr Wake ainsi que Wall, du BCP, se rendent dans les bureaux du FBI, de la CIA et de la NSA à l’automne 1961. On trouve le procès-verbal d’une rencontre marquante tenue en février 1963 dans le document 2672. Après le rapport présenté par le Dr Wake en 1962, le Conseil de recherches pour la défense consent à financer la « Fruit Machine » à hauteur de 10 000 $. On y lit que le ministre de la justice, Fleming, est pleinement en faveur du plan.
Les documents 3308, 3410 et 3411 (1964) confirment que la recherche pour ce projet puise notamment ses sujets à même un bassin d’homosexuels ayant été expulsés des Forces armées canadiennes (FAC). Le document 3390 (février 1964) est un rapport d’étape présenté par le Dr Wake, tandis que le document 3506 (1968) établit que la Commission Mackenzie est en faveur de poursuivre le projet de recherche.
Les documents 3520, 3521 et 3523 (mai 1969) fournissent les derniers rapports sur le projet « Fruit Machine ».
GRC
Le document 3110 (avril 1960) est une note de service d’intérêt rédigée au plus fort de la purge. On y fournit un survol, un historique complet et des chiffres directement fournis par le gouvernement fédéral. Cette note illustre les énormes répercussions de la purge sur les Affaires extérieures et la Marine canadienne.
Dans le document 3153 (septembre 1960), la GRC détaille ses techniques pour interroger les personnes homosexuelles. On y précise qu’aucune représentation juridique n’est autorisée et qu’aucun préavis ne doit être donné. Le document 3173 (septembre 1960) explique que la GRC a découvert que des personnes homosexuelles se donnaient rendez-vous à l’hôtel Lord Elgin d’Ottawa.
Rédigée par la GRC, la note de service 3239 (août 1961) est envoyée à toutes les divisions pour faire le point sur les enquêtes sur les personnes homosexuelles. Dans le document 3248 (septembre 1961), la GRC soupçonne un artiste célibataire d’être gai.
Dans le document 3480 (1967), le ministère de la Défense nationale (MDN) accepte de fournir à la GRC des renseignements sur les homosexuels et les lesbiennes libérés de leurs fonctions. Le document 2606 (juillet 1973) est une note interne de la GRC où l’on soutient que la section A-3, chargée d’enquêter sur la « faiblesse de caractère » des homosexuels, affirme avoir 36 à 37 milliers de fiches sur des personnes homosexuelles. Le document 3902 (mai 1979) effectue un survol exhaustif de l’histoire des politiques sur l’homosexualité à la GRC, associé de justifications.
Le document 4110 (janvier 1981) donne une vue d’ensemble des dossiers de la GRC sur les personnes homosexuelles et de la politique concernant leur destruction. Le document 4254 (octobre 1982) détaille l’historique des politiques de la GRC en matière d’homosexualité, accompagné de justifications.
Dans le document 4321 (août 1983), on lit qu’il a été découvert qu’un employé du service de sécurité de la GRC était homosexuel et que des questions sur l’orientation sexuelle devraient être posées pendant les entrevues de sécurité. Le document 2579 (janvier 1985 indique que le commissaire Simmonds de la GRC a demandé au ministre McKay s’il appuyait la politique anti-homosexuels. Le ministre s’est dit en faveur de celle-ci.
Le document 4551 (mai 1985) émane du ministère le plus opaque du gouvernement fédéral – le Centre de la sécurité des télécommunications; on y indique qu’on accorderait la plus haute cote de sécurité à un employé ouvertement gai. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) confirme son octroi, mais ajoute de lourdes conditions pour que l’employé en question puisse poursuivre son travail.
Le document 4909 (mai 1986) indique que le solliciteur général Beatty est personnellement en faveur de la discrimination à la GRC. Enfin, les documents 4583, 4588, 4624 et 4656 (juin 1985) exposent les commentaires de divisions de la GRC qui s’opposent aux personnes homosexuelles dans l’organisation. On y propose d’avoir recours à des traitements pour les guérir.
MDN et FAC
Les documents 2772 et 2773 (avril 1953) évoquent le démantèlement d’un vaste réseau de lesbiennes radicales et de « perverses sexuelles » à Terre-Neuve. Dans les documents 2894 et 2947 (mai 1958), on apprend que des membres de l’Aviation royale canadienne (ARC) soupçonnées d’être lesbiennes ont été envoyées à l’unité psychiatrique d’un hôpital. À ce chapitre, on lit dans les documents 4444 et 4464 (novembre 1984 et janvier 1985) que l’homosexualité dans l’armée est plus répandue chez les femmes, et tout particulièrement au sein des centres de recrutement et des centres de formation aux métiers.
Dans le document 4934 (juin 1985), le groupe de travail du MDN sur la Charte s’inquiète du fait que s’il existe un faible nombre d’homosexuels sur les navires, ceux-ci pourraient bénéficier de meilleures installations. Dans le document 4982 (septembre 1986), un groupe de travail mixte établit que les hommes et les femmes de la Milice sont déjà appelés à dormir sous la même tente, affaiblissant ainsi l’argument voulant que l’intimité soit en cause.
Dans la note de service 5005 (novembre 1986), le sous-ministre adjoint De Chastelain présente de nombreux arguments homophobes en faveur de bannir les hommes gais de l’armée, y compris le prétendu danger pour les jeunes. Une note de service du BCP, le document 5021 (janvier 1987), précise la position du ministre Beatty (MDN) sur les homosexuels dans l’armée : « oui aux femmes, non aux homosexuels. » Le document 5028 (février 1987) évoque une lutte entre Beatty et Hnatyshyn (ministre de la Justice) sur la question des homosexuels dans les Forces armées. Le BCP appuie le ministre de la Justice. Selon les documents 5133 et 5134 (novembre 1987), le premier ministre Mulroney a affirmé à Beatty que pour prolonger l’interdiction, il lui faudra obtenir l’appui de Hnatyshyn. Ce dernier refuse de le lui accorder.
Dans la note de service 5195 du MDN (mai 1989), on demande « qu’en est-il des pédophiles et des travestis? » Enfin, le document 5528 (novembre 1991) résume une rencontre marquante du caucus conservateur. Le député Reimer tient des propos sectaires, tandis que les députés Peter McCreath et Ross Reid appuient fermement le changement de politique proposé, en rappelant qu’il y a des homosexuels au sein de la Chambre et du caucus conservateur.
Politiques de sécurité
Le document 2627 (printemps 1958) est une note de service du MND qui fait référence à une « terrible inquiétude » en lien avec l’homosexualité. Dans les notes de service 2943 et 2944 (mars 1958) émanant du BCP, Bryce écrit à Dwyer (secrétaire du panel de sécurité) et fait allusion à la demande de Diefenbaker concernant la révision des politiques et une approche plus clémente. Dwyer y parle de « lois barbares » sur l’homosexualité.
Le document 3104 (mars 1960) est une note de service de la GRC concernant la politique sur les personnes homosexuelles; on y fait référence à un traitement potentiel contre l’homosexualité évoqué par le BCP, en plus de préciser le vif intérêt du premier ministre.
Une autre note de service du BCP, le document 3203 (décembre 1960), précise que les malgré les recherches entreprises, aucun cas de trahison chez les personnes homosexuelles n’a été révélé, et aucune d’entre elles n’aurait cédé à un quelconque chantage. On s’y engage à ne pas communiquer cette information au public. Le Centre de la sécurité des télécommunications, dans les documents 3322 et 3323 (février 1963), note que les lesbiennes posent un risque de sécurité moindre.
Le document 3376 (1963) résume bien la position de Tommy Douglas, chef du NPD, sur les politiques de sécurité et son appel en faveur de la justice.
Dans le document 3924 (août 1979), une note de service signée par le sous-ministre du solliciteur général évoque une rencontre importante sur la politique en matière d’homosexualité. Le Service correctionnel y indique n’avoir embauché aucun homme gai. Dans le document 4652 (septembre 1985), une autre note de service émise par le responsable du Centre de la sécurité des télécommunications à l’intention de Nielsen, ministre de la Défense nationale, résume la politique en vigueur, y compris en ce qui a trait au recrutement de personnes ouvertement homosexuelles ayant la plus haute cote de sécurité. Le document 5183 (août 1988) concerne les vérifications de sécurité du SCRS et mentionne qu’on s’y attache à écarter les personnes qui se sont récemment adonnées au « transsexualisme » et à la « sodomie ».
Affaires extérieures
Le document 3039 (mars 1959) est une lettre digne d’intérêt rédigée par Nicholson, commissaire de la GRC, à l’intention du sous-ministre des Affaires extérieures. Il le met en garde qu’il y a trop d’homosexuels dans son ministère et insiste pour que des mesures soient prises. Dans les documents 3122, 3123 et 3124 (mai 1960), on fait part d’une politique clé des Affaires extérieures en matière d’homosexualité; on y indique avoir désormais recours à des évaluations psychiatriques pour l’ensemble des affectations. On y confirme que les « homosexuels n’ont pas leur place au ministère des Affaires extérieures ». De même, le document 2672 (mars 1963), signé par le sous-ministre Robertson, confirme qu’il n’est pas acceptable d’avoir du personnel homosexuel au sein du ministère. Le document 3779 (janvier 1977) présente une position similaire.
Les documents 4307 et 4308 (juin 1983), qui font le point sur les documents 4298 et 4299, évoquent les « normes comportementales » draconiennes du ministère. Le document 4316 (juillet 1983) affirme qu’aucune personne homosexuelle n’est autorisée à devenir chef de mission.
Autres documents dignes de mention
Le document 3749 (juin 1976) est un document d’information préparé par la GRC au sujet de groupes homosexuels à Toronto.
Le document 5882 (août 1977) est une lettre poignante de David Garmaise, de la Coalition nationale pour les droits des homosexuels, à l’intention du gouvernement fédéral.
Les documents 5877, 5878 et 5879 (avril 1998) présentent des reportages et une conférence de presse sur la parution du premier rapport sur la purge; son auteur, Gary Kinsman, y réclame des excuses.
Le document 4802 (octobre 1986) est une note de service digne de mention où le BCP indique que le premier ministre Mulroney appuie Hnatyshyn, ministre de la Justice, pour l’inclusion de l’orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).
Le document 4828 (février 1986) dresse le procès-verbal d’une réunion marquante du Cabinet sur la réponse du gouvernement au Comité sur l’égalité des droits. On y lit les propos éloquents du premier ministre Mulroney, qui affirme que les homosexuels sont les « enfants de Dieu » et que la discrimination est inacceptable.
Le document 2587 (été 1985) est un rapport du ministère de la Défense nationale où l’on résume officiellement les délibérations du Comité sur l’égalité des droits. Darl Wood y note que les membres du comité semblent déjà avoir décidé de lever l’interdiction.
Enfin, dans le document 5048 (février 1987), le ministre de la Justice, Hnatyshyn, confronte le ministre de la Défense nationale, Beatty, concernant l’intégration de la notion d’orientation sexuelle à la LCDP et refuse de reculer sur ses positions.